Elle a l’air si menue dans son habit de chef, elle se tient droite, les cheveux tirés à quatre épingles, et sous son son regard éveillé, on devine une volonté farouche, peut être inflexible. Mais quelque chose d’infiniment doux se dégage aussi d’Anne-Sophie Pic.
Pour être honnête, je dois avouer que je la connais mal. Et je le regrette. Car voyez-vous, féministe comme je suis, je ne peux pas laisser passer cela , rendez-vous compte : la SEULE femme triplement étoilée dans notre pays de machos ! Anne-Sophie Pic serait donc un peu comme la Sainte Patronne laïque de la Petite Cuisine.
Et puis voila qu’au détour d’une formidable surprise, orchestrée par mes chères chères chères amies Charlotte et Sibylle (cascades de bénédictions sucrées sur vos ravissantes frimousses et celles de tous ceux qui avec vous, nous ont tant gâtés), nous avons reçu mandat pour aller découvrir par nous mêmes ce qui se cache dans les assiettes de Mademoiselle Pic. Il nous faudra par contre pas moins de onze mois pour organiser ce périple gourmet, ne vous moquez pas, Paris-Valence c’est quasi le Raid Gauloise*.
Bref, nous voilà donc, un joli jour de Juin, devant l’imposante entrée de la maison Pic.
Le bâtiment est vaste, sobre, ultra classe. Ambiance trois étoiles et accueil impeccable, nous parcourons de vastes salons aux tons clairs et doux avant d’arriver dans une petite alcôve à quatre tables, faisant face à un ravissant jardin japonais.
L’endroit est franchement charmant, simple et luxueux, sans cette froideur imbécile que se donnent parfois les établissements cherchant à « faire chic ».
Un verre de Condrieu plus tard, l’ambiance est au top à table quand commence le repas.
Comment vous décrire cette cuisine ? Je vous avoue avec honte que dans un moment d’égarement, j’ai osé dire à mon chéri que nous avions là une cuisine féminine, qualificatif aussi crétin que vide de sens; je m’excuse donc auprès de la mère Brazier, de Reine Sammut et de toutes les cuisinières réunies pour la formulation de ce lieu commun stupide, uniquement due à une grosse émotion gustative.
Bref, donc, comment vous décrire la cuisine d’Anne-Sophie Pic ? Je dirais qu’avec chaque plat, on retrouve un peu le même principe : un ingrédient classique, formidablement préparé, auquel est proposé une alliance extraordinaire. Ainsi le foie gras et la pomme verte, la betterave et le café, le pigeon et l’anis vert (raaaaaa).
C’est sublime.
C’est une perfection qui aurait pris des ailes, c’est inspiré, c’est délicieux. C’est en même temps simple, direct, pas de chichis-ponpons : c’est lisible et brillant, bref : c’est génial.
Nous avons été subjugués par à peu près toutes les propositions, en commençant par un macaron au thé Lapsang Souchong (fumé donc, à gauche sur la photo) et aux oeufs de harengs, accord surprenant et formidable malgré la présence du sucre que j’ai toujours du mal à tolérer sur les saveurs iodées.
Vient ensuite un classique de la maison, cette crème de foie gras à la pomme verte, absolument réjouissante. Depuis cet instant, la granny smith et le foie gras sont désormais liés dans mon coeur : fraîcheur, acidité, crémeux – c’est une harmonie fantastique.
Je suis ravie de découvrir que nous allons pouvoir goûter les fameuses betteraves au café, car ce plat m’intrigue depuis que j’en ai entendu parler : mon cerveau ne parvient pas à imaginer le résultat de cette alliance étrange. Sans compter que je trouve que c’est un très gros honneur fait à la betterave, dont l’intérêt gastronomique m’échappe parfois …
Et vous savez quoi ? C’est fantastique. Les textures sont incroyablement mousseuses et fondantes. La betterave est dynamisée par l’épine vinette, une petite baie acidulée, qui vient faire juste la place qu’il faut pour le goût du café. Celui-ci arrive en fin de bouche, par cette touche acide, délicatement, comme une virgule, un petit soupir. Pas d’entrée fracassante au nom de la créativité, il se trouve une place parfaite, en toute discrétion. Cette harmonie improbable n’a pu sortir que d’une imagination gustative hors du commun.
Autre très grand moment, le pigeon à l’anis vert. La viande est cuite à la perfection, moelleuse, délicate. On trouve dans l’assiette une petite jambonette reconstituée avec les abats de l’oiseau, une touche animale et somptueuse, qui vient jouer avec la délicatesse des morceaux de filets. Le bouillon corsé à l’anis vert me scotche au plafond, c’est encore une fois ultra-équilibré, inventif, d’une adresse remarquable : du grand art.
Nous serons également charmés par un curieux brie à la vanille (ça a l’air bizarre mais je vous jure que c’était incroyable), puis par le délicieux dessert aux framboises et à la feuille de cannelle, ainsi que par une mignardise à l’abricot et au coulis de basilic dont je rêve encore la nuit.
Un seul plat nous a laissés sur la réserve : le turbot au chou-fleur et au jasmin, tout de blanc laqué, virginal, mais peut être en retrait par rapport au niveau des autres assiettes.
Autre petit bémol : nous avons eu un peu de mal à trouver une bouteille de vin à moins de trois chiffres (ok nous étions dans un trois étoiles mais bon …). Heureusement, le sommelier, compétent, nous a finalement trouvé une bonne bouteille de St Joseph blanc (avec un verre de Cornas pour le pigeon), le tout franchement honnête.
Et nous avons donc passé un moment des plus grandioses.
La chef n’était pas là, petit regret qui n’a cependant pas gâté la fête, car ce repas fait partie de ceux dont on se rappellera longtemps, un mélange de créativité et de précision qui nous a marqué à jamais.
C’est finalement ce qu’on attend d’un très grand restaurant : une expérience, un morceau de vie.
Merci les amis de nous avoir permis d’en être.
* Et oui, dans la petite cuisine, on a l’air cools comme ça, mais en fait nous sommes HYPER compliqués dès qu’il s’agit de bouger de notre rocher – des vrais berniques.
miam miam
Hélène, fais toi inviter par ton Doug 😉
On sent un rai ravissement la…
Oups, vrai
Oui c’est pas du chiqué, on a été transportés ! A faire absolument si on peut se l’offrir – ou si a des copains trèèèèèèèèèèès sympas 🙂
oulalalala … encore! encore! Continues à nous raconter… Bon maintenant il va falloir aller voir cela de plus près…
C’est beau et tentant la prochaîne fois que nous aurons qqch à fêtre peut-être
Je te le conseille. Et elle a aussi un petit bistro, je crois que c’est très bien également (même si forcément une autre aventure …)
Combien de fois dans une autre vie je me suis rabattue sur son bistrot sur le même trottoir que le Relais & Château en me disant un jour peut-être!!! ASP a le talent inversement proportionnel à sa modestie, et peut-être que moi aussi mon cerveau reptilien me ferait conclure hâtivement que c’est une cuisine féminine mais non, ASP n’en a pas besoin, surtout pas dans ce milieu tellement testostéroné.
Merci de nous faire vivre en vivo vino veritas cette expérience, la partager quoi!!!
Besooooooooooooos
Ha ben justement, on se demandait comment était le bistrot ? Franchement ça doit être bien aussi non ? Maintenant je rêve de me faire sa master class 🙂 On économise pour y aller ensemble (en 2043 ?) Biiiiises !!!
Et bien j’ai connu le bistrot avant travaux (siècle dernier) c’était déjà pas mal, et après travaux (en 2009 je crois) vraiment bien, déco design peut-être un peu froide mais cuisine néoprovençale très bien. pour sa masterclass euh… ok en 2043!
Ton récit m’a carrément scotchée :-O Je serai curieuse de goûter la betterave car comme toi je la trouve plutôt ingrate…
J’en avais déjà mangé des bonnes chez Passard, et là c’était encore autre chose (comme quoi finalement on peut faire plein de choses avec les betteraves …) En fait il leur faut une pointe d’acidité, de la fraîcheur ! Merci de ton passage Rose 🙂
mon repas chez Pic reste l’un des meilleurs de ma vie (ainsi que les vins). on sent une continuité dans sa cuisine très interessante.
Oui c’est tout à fait ça : une grande cohérence !